Nina c’est autre chose
de Michel Vinaver
Leur mère est morte et ils habitent ensemble, deux frères, quarante ans passés, célibataires, une vie réglée et endeuillée.
Sébastien, qui travaille dans une usine, est passionné par la comparaison entre les différentes nationalités et entretient la maison maternelle, Charles ouvrier coiffeur est moins profond, ils s’entendent bien, ça pourrait continuer comme ça. Mais Charles introduit de force Nina, sa petite amie, dans leur vie commune. Dès lors, sans préméditation, Nina opère une « révolution » – ironique lorsqu’elle le dit ? – et leur trio trouve un équilibre toujours susceptible d’être détruit.
Michel Vinaver écrit Nina, c’est autre chose en 1976, précisément l’année dans laquelle se déroule la pièce. Elle rend compte, à travers le prisme de l’intime, d’une époque précisément complexe, originelle quant à nos problématiques de 2012 : c’est une période giscardienne baignée de luttes sociales et de revendications groupusculaires qui voit se développer les germes du chômage, de la précarité, dominée par une pensée capitaliste de plus en plus toute-puissante et aveugle.
Bien loin cependant d’un simple récit d’un moment historique, il s’agit plutôt d’une chronique – comme le dit l’auteur – qui en son temps, et aujourd’hui encore, dépasse la notion même de contemporanéité : L’écriture, musicale, fragmentaire, saisit « l’ordinaire », les aspérités du temps qui passe, et convoque le mythe de Pandore à tel point qu’il est possible d’envisager la pièce comme une réécriture de la Théogonie d’Hésiode.
Le mythe transparaît en effet et structure dans ses fondations intimes, comme un plaisir latent, les situations modernes de Nina, c’est autre chose. Nina, dont on ne sait quasiment rien, est l’arrivée brute du changement, emmenée par un Charles Épiméthée, coiffeur inquiet, opportuniste et libéral, dans son foyer où rumine un Sébastien-Prométhée ouvrier syndiqué. L’intime s’en trouve bouleversé, révélant dans ses banalités une profonde humanité.
Adrien Cornaggia et Baptiste Guiton