Lune jaune (…)
de David Greig
"Lune jaune, La ballade de Leila et Lee" est la rencontre improbable entre Leila la silencieuse et Stag-Lee le mauvais garçon, deux adolescents rejetés et stigmatisés, à l’existence fragile. «Peut-être que personne n’imagine ce que c’est d’être nous» Leila, sc.6
Lee vit seul avec sa mère Jenni, depuis que son père est parti quand il avait cinq ans en lui laissant pour seul souvenir une casquette. Lee rêve de faire fortune grâce au crime, de devenir, tiens, pourquoi pas le premier mac d’Inverkeithing ? Leila est «une bonne petite» mais son corps l’encombre, une jeune fille qui ne se sent exister que lorsqu’elle se passe une lame de rasoir sur le corps en rêvant aux célébrités de la presse people. Et Billy, le beau-père de Lee, voudrait offrir une bague à Jenni. Un mauvais départ, une erreur, un meurtre, et voilà Lee fuyant en plein hiver dans les collines hostiles, à la recherche de son père, avec Leila la silencieuse, et voilà Frank le garde-chasse qui les recueille, et voilà trois êtres perdus qui passent à ça de se trouver. Ou qui se trouvent. Et se perdent.
L’écriture de David Greig
La pièce est peu distribuée, c’est un poème choral dans lequel David Greig n’identifie pas toujours le narrateur. Les acteurs racontent autant qu’ils interprètent leurs personnages, sollicitant constamment l’imagination du spectateur. Ce théâtre-récit exclut toute dimension réaliste, il confère à l’histoire un caractère mythique ; dès lors l’espace de jeu devient un terrain de jeu, dans lequel la fiction est convoquée pour affronter le réel, et parfois le sublimer.
Comment mettre en scène l’ennui ?
David Greig est manifestement un auteur de théâtre très concerné par le plateau et ses résolutions. Pour preuve, le traitement des ellipses, socle d’un récit ininterrompu, gageur d’une continuité narrative sans passage au noir sur scène. Lune Jaune est pourtant une mémoire morcelée, l’émergence de souvenirs restitués en définitive – on le comprend au fur et à mesure – par le personnage de Leila. Nous accédons à cette histoire à travers le regard d’une jeune adolescente. Tout n’est peut-être pas l’exacte vérité. Peu importe. Leila est une rêveuse, une enfant qui compense la cruauté de son récit par l’utilisation de multiples procédés narratifs : cette fiction s’empare de la forme romanesque, du polar, du poème, de la chanson de geste, du rap, de la ballade, enfin. Elle parle de Lee, jeune homme impulsif et inconséquent, ressassant la douleur d’un abandon paternel. Tous deux ont en commun l’exclusion, l’oubli, l’ennui.
Baptiste Guiton