Le Groenland
de Pauline Sales
Elle part, une nuit, avec sa petite fille, pour le Groenland. Elle a quitté sa maison, son mari, elle veut l’emmener vers « les étendues, la neige, l’infini ». Elle lui raconte des histoires, elle nous raconte son histoire. Elle veut que sa petite fille lui lâche la main... Ce n’est pas une fuite, c’est un exil.
Pauline Sales compose l’être femme, son sexe, sa place, son rapport à la maternité, à l’abandon, à la mort, elle tisse une partition du départ, du dénue- ment, du froid. Quelque chose mue, se défait, une peau sociale, comme un rite régressif : une mère et sa petite fille, une femme et une enfant, une femme- enfant. Au plateau, un piano droit et son pianiste accompagnent ce voyage, comme un iceberg à la dérive, sur des compositions de Béla Bartók : un contrepoint ou une réponse de l’enfance, une fugue, une figure paternelle immobile.
À travers ce monologue, la nature féminine percute la fonction maternelle, il confronte l’inexistence de l’une face à l’autre, ou parfois l’existence de l’une sans l’autre.
Pourquoi partir ? Il n’est pas question d’héroïsme (ou d’anti-héroïsme), il n’y a pas de notion d’exemplarité, mais plutôt une vérité singulière, doucement cruelle, et instantanée…
S’il s’agit d’un texte féministe, toute question militante en est cependant exempte. Lorsque Pauline Sales écrit Le Groenland, en lien avec la metteure en scène Marie-Pierre Besanger, elle rencontre des femmes à plusieurs reprises : Le Groenland n’est pourtant ni une retranscription ni une inspiration de ces témoignages, mais plutôt la «vérité» crue qui s’en est échappée. En effet, lors de ces échanges, l’auteure fut marquée par l’hyper-lucidité de ces femmes assumant pleinement certains regrets, définissant l’amour comme une souffrance et considérant certains obstacles comme des empêchements propres au féminin. Cette «figure hitchkockienne» du texte, élégante et intemporelle, est d’une cruauté absolue vis-à-vis d’elle-même. Il faut de l’énergie pour aller dans ces endroits-là, et dans le même temps, pour continuer à avancer; il faut une certaine sauvagerie, et c’est d’ailleurs un enjeu fondamental pour la comédienne, convoquer cette cruauté avec une joie sauvage.
«Ne pleure pas. J’ai mal à la tête. Pas de larmes. Je m’en vais toute seule et te laisse là. J’accroche un papier avec notre adresse à la fermeture éclair de ton anorak. N’importe qui te raccompagnera chez toi tout droit. C’est ce que tu veux ? Alors qu’est-ce que tu veux ? Moi je reste là. Je ne rentre pas. Je vais au Groenland. Tu me crois ou pas…»